Les États-Unis annoncent une stratégie de souveraineté énergétique centrée sur le nucléaire. Selon des informations publiées le 29 octobre 2025 par Reuters, l'administration du président Donald Trump a engagé un programme fédéral destiné à redéployer sur le territoire américain toute la chaîne d'approvisionnement du combustible nucléaire, de l'uranium enrichi jusqu'au combustible prêt à être chargé dans les réacteurs avancés. L'objectif affiché est explicite : sécuriser la filière stratégique du combustible nucléaire, réduire les importations venues de pays jugés sensibles et soutenir l'essor des nouveaux réacteurs modulaires, dits SMR (Small Modular Reactors).
Le coeur du dispositif repose sur un combustible spécifique appelé HALEU, pour High-Assay Low-Enriched Uranium. Il s'agit d'un uranium faiblement enrichi à un taux plus élevé que celui utilisé dans la plupart des réacteurs nucléaires actuels. D'après les éléments rapportés par Reuters, le Department of Energy (DOE) considère le HALEU comme indispensable pour les réacteurs avancés et pour les futurs SMR américains. Le DOE estime que la demande pourrait atteindre environ 50 tonnes de HALEU par an d'ici 2035, un volume nettement supérieur aux capacités disponibles aujourd'hui.
Une relocalisation présentée comme un impératif stratégique
Cette initiative fédérale est présentée comme une réponse directe à deux enjeux considérés comme critiques par Washington :
1. La dépendance extérieure : Les États-Unis importent encore une part significative de leur combustible nucléaire, y compris des produits issus d'installations d'enrichissement étrangères. Reuters rappelle que la Russie occupe une place importante dans l'enrichissement mondial, notamment pour des combustibles avancés adaptés aux nouvelles générations de réacteurs. L'administration américaine considère cette dépendance comme un risque stratégique et veut réduire l'exposition du pays à des fournisseurs non alignés.
2. Le déploiement industriel des réacteurs modulaires : Le développement des SMR (Small Modular Reactors) et des réacteurs avancés est désormais présenté comme un pilier industriel et énergétique. Ces réacteurs sont conçus pour être plus compacts, plus rapides à installer et plus flexibles d'emploi (production électrique, chaleur industrielle, alimentation de sites isolés, etc.). Pour fonctionner, plusieurs de ces modèles nécessitent du HALEU et d'autres formes de combustible dit avancé, comme certains combustibles de type TRISO. Sans une chaîne de production nationale, les industriels américains risquent d'être ralentis dans leurs plans de déploiement.
Selon les déclarations rapportées par Reuters, la Maison Blanche défend l'idée qu'une relance domestique de l'extraction, de l'enrichissement et de la fabrication du combustible nucléaire contribuerait à la souveraineté énergétique américaine, tout en soutenant l'industrie nationale. L'administration Trump parle d'un effort coordonné entre l'État fédéral et le privé afin d'accélérer l'industrialisation, à la fois pour l'uranium enrichi et pour les formes de combustible adaptées aux réacteurs avancés.
Un programme pilote pour structurer la filière du combustible
Pour passer de l'intention à la production réelle, le Department of Energy a lancé un programme pilote (« pilot program ») visant à sélectionner des entreprises capables de produire du combustible nucléaire avancé sur le sol américain. Toujours selon Reuters, plusieurs sociétés spécialisées ont été identifiées dans ce cadre. Le rôle de ce programme est d'amorcer une première capacité industrielle à court terme, de valider les procédés et de mettre en place des lignes de production qui pourront ensuite être étendues.
D'après les informations publiées, l'une des entreprises sélectionnées a annoncé un investissement de 42 millions de dollars pour produire du combustible de type TRISO dès 2026. Cette même société a également communiqué un objectif industriel : atteindre une capacité de l'ordre de deux tonnes de combustible TRISO par an à partir de 2027, en partenariat avec un acteur établi du secteur nucléaire. Reuters indique que l'industrie nucléaire française est citée dans ce contexte comme partenaire technologique sur certaines étapes de fabrication.
Ce volet industriel est présenté par le DOE comme central : produire physiquement le combustible aux États-Unis plutôt que le faire fabriquer à l'étranger. L'administration Trump met en avant l'accélération réglementaire et l'effet d'amorce financière fédérale pour inciter les acteurs privés à investir dès maintenant, plutôt que d'attendre l'émergence complète du marché des SMR.
Quelle place pour le nucléaire dans la sécurité énergétique américaine
Le discours fédéral décrit le nucléaire comme une énergie pilotable, bas-carbone et compatible avec les besoins électriques continus d'activités industrielles ou numériques à forte intensité. L'argument avancé est que ces futurs réacteurs modulaires pourraient apporter une production électrique stable, avec de faibles émissions directes de CO2, et soutenir les secteurs considérés comme stratégiques : industries lourdes, data centers, infrastructures critiques.
Dans cette logique, le combustible nucléaire n'est pas présenté comme un simple intrant. Il est présenté comme un maillon stratégique, au même titre que l'extraction minière, la métallurgie ou les semi-conducteurs. L'ambition déclarée est de traiter la filière du combustible comme une chaîne souveraine complète : extraction d'uranium, conversion, enrichissement en HALEU, fabrication du combustible final, puis alimentation des réacteurs avancés.
Ce positionnement intervient aussi dans un contexte géopolitique. Reuters souligne que Washington a renforcé les restrictions sur certaines importations de matières nucléaires en provenance de Russie. Le message envoyé aux industriels américains est donc le suivant : la demande va exister, le cadre politique est favorable, et une base industrielle nationale est considérée comme prioritaire.
Des défis identifiés par le Department of Energy
Malgré le volontarisme affiché, les données rapportées par Reuters montrent que plusieurs obstacles techniques et économiques restent à franchir :
Calendrier industriel : le DOE reconnaît que les besoins futurs des réacteurs avancés sont élevés, alors que les capacités industrielles actuelles aux États-Unis restent limitées. Il existe aujourd'hui peu de sites capables de produire du HALEU à l'échelle, et le combustible de type TRISO reste essentiellement en phase de préparation industrielle. Le décalage entre l'objectif (par exemple 50 tonnes/an de HALEU à l'horizon 2035) et la production réelle actuelle est donc un point de vigilance.
Cadre réglementaire et sûreté : le combustible avancé, qu'il s'agisse de HALEU ou de TRISO, est soumis à des normes strictes de sûreté et de traçabilité. Le passage d'une ligne pilote à une production commerciale implique des autorisations spécifiques, des contrôles de sécurité et des systèmes de suivi matière. Ces contraintes sont considérées comme nécessaires mais elles ralentissent mécaniquement la montée en puissance.
Poids de l'investissement privé : l'administration Trump soutient l'idée d'un modèle où l'État fédéral enclenche la dynamique et le privé finance la capacité à long terme. Reuters précise que le Department of Energy insiste sur la nécessité d'un engagement industriel durable, y compris sur des installations coûteuses comme les unités d'enrichissement HALEU, afin d'éviter de recréer une dépendance extérieure.
Impact international : effets possibles pour l'Europe et la France
Le renforcement d'une filière de combustible nucléaire « Made in USA » pourrait avoir plusieurs effets au-delà du territoire américain. D'une part, une production américaine accrue pourrait réorganiser les flux mondiaux d'uranium enrichi et réduire l'offre disponible hors États-Unis. D'autre part, les partenariats industriels évoqués par Reuters incluent des acteurs européens, ce qui ouvre la voie à des coopérations ciblées entre fournisseurs de combustible, industriels du nucléaire historique et nouveaux entrants spécialisés dans les réacteurs modulaires.
Pour la France, qui dispose déjà d'un tissu industriel nucléaire structuré (ingénierie du cycle du combustible, fabrication d'assemblages, services au parc nucléaire), la montée en puissance annoncée aux États-Unis est à la fois une opportunité et un signal de concurrence. L'industrie française peut être un partenaire technologique dans certaines étapes (par exemple la conception ou la qualification de certains combustibles avancés), mais elle devra aussi maintenir sa compétitivité face à une filière américaine soutenue politiquement et économiquement par Washington.
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