Alors que la France s’apprête à appliquer le système européen ETS 2 sur les carburants dès 2027, une note récente de l’Institut Montaigne met en garde contre ses effets économiques et sociaux. Ce mécanisme, qui étend le marché du carbone européen aux secteurs du transport routier et du chauffage, aura pour conséquence directe une hausse du prix à la pompe estimée entre +10 et +15 centimes par litre.
Une mesure européenne au cœur de la transition énergétique
L’ETS 2 (Emission Trading System) constitue la seconde phase du marché carbone de l’Union européenne. Jusqu’à présent, le dispositif concernait les industries, les centrales électriques et le transport aérien intra-européen. Sa nouvelle extension aux carburants routiers vise à réduire les émissions de CO₂ du secteur des transports, principal émetteur en France avec près de 30 % des émissions nationales.
Concrètement, les fournisseurs d’énergie et les distributeurs de carburants devront acheter des quotas d’émissions correspondant au CO₂ généré par les carburants qu’ils vendent. Ce coût sera ensuite répercuté sur les consommateurs finaux, entraînant une augmentation progressive des prix à la pompe.
Des effets directs sur le budget des ménages
Selon l’Institut Montaigne, cette réforme pourrait alourdir la facture énergétique moyenne d’environ 200 € par ménage et par an, en combinant transport et chauffage. L’effet serait particulièrement marqué sur les ménages modestes et périurbains, déjà fortement dépendants de la voiture individuelle pour leurs trajets quotidiens. L’institut souligne que cette mesure est « régressive », car elle pèse proportionnellement plus sur les foyers à faibles revenus.
Dans le détail, la hausse attendue serait de +15 centimes sur l’essence et +17 centimes sur le diesel (hors TVA). Si la France décidait de différer l’application du dispositif pour les carburants des particuliers, cette augmentation pourrait être repoussée à 2031. Sans dérogation, des mécanismes de compensation – chèques énergie, baisses de taxes ciblées – seraient nécessaires pour en limiter les effets.
Un impact économique et industriel contrasté
Pour les transporteurs routiers et les entreprises de mobilité, l’impact sera également significatif. L’Institut Montaigne rappelle que la fiscalité sur les carburants professionnels est déjà proche des minima européens, rendant difficile toute compensation via une réduction d’accises. Ce surcoût énergétique pourrait se traduire par une hausse du coût du fret et du transport de voyageurs, dans un contexte où l’inflation logistique reste élevée.
Au total, les recettes générées par l’ETS 2 représenteraient environ 9 milliards d’euros par an pour la France entre 2027 et 2030, dont 1,2 milliard alimenterait le Fonds social pour le climat (FSC). Ces fonds doivent financer la transition écologique, mais l’Institut Montaigne insiste sur la nécessité d’affecter une part significative de ces recettes à la mobilité décarbonée, afin de renforcer l’acceptabilité sociale du dispositif.
Des ménages toujours « prisonniers énergétiques »
L’étude rappelle un constat déjà alarmant : près de 80 % des déplacements des Français se font en voiture, et cette dépendance s’accroît dans les zones rurales et périurbaines. L’allongement des distances domicile-travail, conjugué à la faible densité des transports publics, rend la voiture incontournable pour des millions d’actifs. Malgré les progrès technologiques, les gains de performance des moteurs n’ont pas compensé la hausse des kilomètres parcourus, annulant une partie des efforts de sobriété énergétique.
Dans ce contexte, la hausse des carburants pourrait être perçue non pas comme un signal-prix écologique, mais comme une contrainte supplémentaire sur des budgets déjà fragiles. L’Institut Montaigne avertit d’un risque de nouvelle crise de confiance semblable à celle des « Gilets jaunes », si le débat sur la formation du prix des carburants reste absent du débat public.
Des solutions encore insuffisantes pour réduire la dépendance au pétrole
L’institut souligne que la transition des mobilités repose sur des leviers encore fragiles : le développement du véhicule électrique, la sobriété énergétique et la réorganisation du territoire. Si la fiscalité carbone rapporte environ 30 milliards € par an via les carburants, seules 3 % des recettes sont aujourd’hui réinvesties dans la mobilité décarbonée. Ce déséquilibre freine l’adhésion des citoyens à la transition.
Les experts préconisent de réaffecter les recettes issues des carburants au financement des transports propres – bonus écologique, infrastructures de recharge, transports publics – afin d’assurer une transition socialement juste. Ils rappellent qu’un tel fléchage des ressources améliore le consentement fiscal et renforce la confiance dans la politique climatique.
Vers une trajectoire de prix plus lisible et mieux anticipée
L’Institut Montaigne recommande enfin d’établir une trajectoire pluriannuelle du prix des carburants, intégrant les effets combinés de l’ETS 2, de la composante carbone et des certificats d’économie d’énergie (CEE). Cette transparence donnerait aux ménages comme aux entreprises une meilleure visibilité pour anticiper leurs choix d’investissement et d’équipement.
Sans cette visibilité, la transition énergétique risque de se heurter à un rejet social durable, dans un contexte où les transports du quotidien concentrent déjà la majorité des crispations écologiques.
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