Des écarts de fiscalité majeurs entre Nord et Sud
Le prix à la pompe dans les pays d’Amérique ne dépend pas uniquement du coût du pétrole brut. Une part importante provient des taxes sur les carburants, qui varient considérablement selon les pays. De manière générale, les pays d'Amérique du Nord appliquent des taxes plus élevées que ceux d'Amérique latine, où les subventions restent courantes.
Aux États-Unis, les taxes fédérales sur les carburants sont relativement faibles comparées à l’Europe, mais non négligeables à l’échelle continentale : 18,4 cents/gallon pour l’essence et 24,4 cents/gallon pour le diesel (soit environ 0,05 €/L et 0,06 €/L), sans compter les taxes additionnelles imposées par chaque État.
Au Canada, les taxes sur les carburants varient selon les provinces. En moyenne, elles représentent 30 à 40 % du prix à la pompe, intégrant une taxe fédérale (0,10 $/L), des taxes provinciales et la taxe carbone. La Colombie-Britannique applique les niveaux les plus élevés avec une taxe carbone pouvant atteindre 0,14 $/L.
L'Amérique latine : entre subventions et fiscalité faible
À l’opposé, plusieurs pays d’Amérique du Sud ont historiquement subventionné les carburants afin de soutenir leur population ou de stabiliser les prix. Le Venezuela, par exemple, a longtemps pratiqué le prix de l’essence le plus bas au monde, bien que les récentes crises aient partiellement modifié cette politique.
En Argentine, l’État fixe régulièrement les prix du carburant via la société nationale YPF, ce qui réduit l’impact des taxes visibles. En 2024, les taxes représentent environ 25 % du prix final, bien en dessous des moyennes nord-américaines.
Au Brésil, la situation est intermédiaire : les taxes représentent près de 40 % du prix, combinant taxe fédérale (CIDE), ICMS (taxe des États) et PIS/COFINS. Toutefois, des pressions politiques récurrentes ont conduit à des suspensions ou réductions temporaires pour limiter l’inflation.
Des logiques économiques divergentes
Les politiques fiscales reflètent des priorités nationales différentes. Au nord, notamment au Canada, les taxes servent à inciter à la réduction des émissions et à financer des programmes environnementaux. Le Canada a d’ailleurs instauré une taxe carbone fédérale uniforme, qui augmente progressivement jusqu’en 2030.
Aux États-Unis, la fiscalité reste un levier budgétaire pour les États. La Californie, par exemple, applique une taxe de près de 0,60 $/gallon pour soutenir ses projets d’infrastructure et de transition énergétique. À l’inverse, des États comme l’Alaska imposent moins de 0,10 $/gallon.
Dans le sud du continent, les préoccupations sont davantage sociales. Les gouvernements cherchent à protéger le pouvoir d’achat des populations, souvent plus vulnérables à la volatilité des prix internationaux. Cela se traduit par des politiques de gel des prix ou de subventions directes, parfois coûteuses pour les finances publiques.
Impact sur les consommateurs et le marché
Ces politiques fiscales influencent fortement les comportements. En Amérique latine, la faible taxation favorise la consommation élevée de carburants, avec peu d’incitations à passer à l’électrique ou aux transports en commun. Le Mexique illustre bien cette tension : après avoir réduit les subventions en 2017, les hausses de prix ont entraîné des protestations massives (le "gasolinazo").
En Amérique du Nord, la pression fiscale – même modérée – a contribué à un essor plus rapide des véhicules hybrides et électriques, notamment au Canada où des incitations s'ajoutent à la fiscalité. La rentabilité des modèles alternatifs y est plus sensible au prix élevé du litre de carburant.
Vers une convergence ou un renforcement des écarts ?
La tendance mondiale vers la décarbonation pousse certains pays du sud, comme la Colombie ou le Chili, à revoir leur stratégie fiscale. La Colombie a récemment introduit une taxe carbone modeste mais symbolique. Le Chili, pionnier en Amérique du Sud, applique une taxe environnementale de 5 USD/tonne de CO₂, intégrée au prix de l’essence.
Cependant, la dépendance politique aux carburants subventionnés reste forte. Les élections influencent régulièrement les niveaux de taxation : au Brésil, la suspension temporaire des taxes fédérales en 2022 illustre cette instrumentalisation fiscale.
Comparatif des taxes carburant en quelques chiffres
Pays | Taxe essence (€/L équiv.) | Taxe diesel (€/L équiv.) | Particularité |
---|---|---|---|
Canada (QC) | ~0,45 € | ~0,50 € | Taxe carbone + taxe provinciale |
États-Unis (moyenne) | ~0,12 € | ~0,15 € | Forte variation par État |
Mexique | ~0,10 € | ~0,10 € | Subventions occasionnelles |
Brésil | ~0,40 € | ~0,35 € | Taxe ICMS variable |
Argentine | ~0,25 € | ~0,25 € | Prix fixés par l’État |
Colombie | ~0,20 € | ~0,20 € | Introduction récente de taxe CO₂ |
Venezuela | ~0,01 € (variable) | ~0,01 € (variable) | Subvention extrême |
Amérique vs Europe
Comparée à l’Europe, l’Amérique affiche une fiscalité sur les carburants généralement plus légère. En Europe, les taxes représentent souvent plus de 60 % du prix à la pompe, avec des niveaux particulièrement élevés en France, en Italie ou en Allemagne, où l’objectif est double : financer les infrastructures et inciter à la transition écologique. À l’inverse, en Amérique du Nord, la pression fiscale est plus modérée, notamment aux États-Unis où les taxes sont historiquement basses, reflétant une culture favorable à la voiture et à l’énergie bon marché. En Amérique latine, plusieurs pays vont jusqu’à subventionner les carburants, une politique devenue rare en Europe. Ce fossé fiscal se traduit par des écarts de prix significatifs à la pompe, mais aussi par des différences dans les politiques de mobilité, d’investissement dans les transports en commun et dans l’adoption des véhicules électriques.