Un tournant industriel pour le carburant d’aviation durable
Dans un contexte de décarbonation accélérée du secteur aérien, la société américaine Summit AG Investors a annoncé un projet majeur de production de carburant d’aviation durable (SAF) dans le Dakota du Nord. Selon le North Dakota Monitor, cet investissement de près de 4 milliards de dollars pourrait transformer l’ouest de l’État en plaque tournante du carburant bas carbone pour l’aviation.
Le projet, encore en phase de planification, prévoit la construction d’une usine de grande envergure dans la région de Williams County. L’unité utiliserait des résidus agricoles et des matières premières locales pour produire un carburant synthétique à faible intensité carbone, conforme aux critères stricts de durabilité des normes fédérales américaines.
Une localisation stratégique
Pourquoi le Dakota du Nord ? La réponse est logistique, politique et économique. L’État offre :
- une proximité immédiate avec les pipelines et infrastructures d’éthanol existants,
- un accès facilité aux vastes surfaces agricoles nécessaires à la biomasse,
- un environnement politique favorable aux projets énergétiques innovants, soutenu par les élus locaux et l’Office du développement industriel de l’État.
Le gouverneur Doug Burgum a salué ce projet comme « une opportunité historique de diversification énergétique et de leadership en matière de climat », soulignant les retombées économiques attendues : des centaines d’emplois directs et indirects, une modernisation des infrastructures et une valorisation des coproduits agricoles.
Le SAF, une solution d’avenir pour l’aviation
Le carburant d’aviation durable est une alternative aux carburants fossiles traditionnels. Il permettrait de réduire de 50 à 80 % les émissions de CO₂ sur l’ensemble du cycle de vie, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Le SAF peut être produit à partir de plusieurs sources :
- huiles végétales ou usagées,
- déchets agricoles,
- hydrogène vert combiné au CO₂ capté,
- procédés Fischer-Tropsch pour la synthèse à partir de biomasse.
À terme, la demande mondiale en SAF pourrait atteindre 450 milliards de litres par an selon IATA, ce qui en fait un levier crucial de la transition énergétique dans l’aviation, secteur responsable de près de 3 % des émissions mondiales.
Concurrence internationale et souveraineté énergétique
Ce projet américain s’inscrit dans un contexte de compétition mondiale sur la production de carburants bas carbone. En Europe, plusieurs initiatives similaires émergent, comme la raffinerie TotalEnergies de Grandpuits ou l’usine e-fuel d’Infinium en Moselle.
Mais les États-Unis bénéficient d’un environnement réglementaire particulièrement incitatif avec l’Inflation Reduction Act, qui propose des crédits d’impôt allant jusqu’à 1,75 $ par gallon pour les carburants très bas carbone.
Cette dynamique nord-américaine pourrait placer les États-Unis en tête du marché mondial du SAF, au détriment d’une Europe encore freinée par des contraintes réglementaires multiples.
Quels impacts pour la France et l’Europe ?
En France, l’obligation d’incorporation de carburant durable dans le kérosène reste limitée : 1 % depuis 2022, avec un objectif de 2 % en 2025, bien en deçà des ambitions américaines. Le projet de loi énergie-climat actuellement en débat pourrait rehausser ces objectifs.
La filière française dispose pourtant de nombreux atouts :
- une agriculture puissante capable de produire de la biomasse durable,
- des compétences industrielles reconnues dans la chimie verte,
- un tissu aéronautique dense autour d’Airbus et Safran.
Mais sans soutien massif et stable de l’État, la France pourrait voir des géants comme Summit AG ou World Energy capter l’essentiel des parts de marché du SAF à horizon 2030.
Un projet qui illustre une nouvelle géopolitique de l’énergie
Ce projet de 4 milliards de dollars n’est pas qu’une réussite économique : il reflète un basculement stratégique. Alors que les énergies fossiles sont de plus en plus critiquées, la capacité d’un État ou d’un pays à produire des carburants de synthèse bas carbone devient un enjeu de souveraineté.
Le SAF est ainsi appelé à devenir, au même titre que le gaz naturel ou l’hydrogène vert, un levier de puissance industrielle. Pour les territoires comme le Dakota du Nord, souvent marginalisés dans la transition énergétique, c’est aussi l’occasion de redevenir centraux.
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