Un avertissement sérieux pour le secteur aérien européen
L’Europe, souvent en première ligne dans la décarbonation des transports, est aujourd’hui sur le point de rater une opportunité stratégique majeure : celle de s’imposer comme leader mondial des e-carburants (ou e-fuels) pour l’aviation. Dans une étude publiée en juin 2025, l’ONG Transport & Environment (T&E) alerte sur la perte d’élan de l’industrie européenne, autrefois pionnière dans le domaine. Les e-carburants, fabriqués à partir d’électricité renouvelable, d’eau et de CO₂ capté, représentent une solution prometteuse pour réduire les émissions du secteur aérien, difficilement électrifiable. Pourtant, selon T&E, l’absence de cadre réglementaire clair et d’incitations financières à l’échelle européenne compromet l’essor de cette filière industrielle stratégique.
Un risque de délocalisation des projets
Selon l’étude de T&E, plusieurs entreprises européennes prévoient désormais de développer leurs usines de production d’e-fuels à l’étranger, notamment aux États-Unis ou au Moyen-Orient, où les incitations publiques sont jugées plus attractives. Les États-Unis, via l’Inflation Reduction Act, subventionnent massivement les projets de carburants durables, tandis que des pays comme le Chili ou les Émirats Arabes Unis proposent des conditions d’accès à une électricité verte très compétitive. Conséquence directe : l’Europe pourrait devenir dépendante de carburants produits hors de ses frontières, alors qu’elle dispose pourtant du savoir-faire technologique et de la volonté politique d’origine pour créer une filière compétitive locale.
Des ambitions affichées, mais des actions limitées
L’Union européenne s’est fixée des objectifs ambitieux à travers le règlement ReFuelEU Aviation, qui impose une part croissante de carburants durables dans le kérosène utilisé par les compagnies aériennes opérant en Europe. Cependant, selon T&E, ces obligations restent insuffisantes pour garantir un développement rapide et soutenu des e-fuels. La réglementation prévoit que seulement 1,2 % du carburant utilisé en 2030 devra être du e-kérosène. Un niveau jugé trop faible pour stimuler les investissements nécessaires dans une industrie encore jeune et coûteuse. Pour T&E, un objectif d’au moins 3 % serait nécessaire à court terme pour garantir un effet d’amorçage.
Un enjeu industriel et stratégique majeur
Le développement des e-carburants pour l’aviation n’est pas seulement un enjeu environnemental, mais aussi économique et géopolitique. Selon les estimations de T&E, l’Europe pourrait créer jusqu’à 300 000 emplois directs et indirects dans la chaîne de valeur des carburants synthétiques si elle décide d’investir massivement dans ce secteur. Ne pas saisir cette opportunité reviendrait à laisser le champ libre à d'autres puissances, notamment les États-Unis, la Chine ou les pays du Golfe, qui misent déjà sur cette technologie pour verdir leur aviation civile et commerciale.
Des recommandations concrètes pour relancer la dynamique
T&E appelle l’UE et les États membres à adopter rapidement un plan d’action ambitieux pour soutenir la production de e-kérosène en Europe. Parmi les recommandations du rapport :
- Rehausser les objectifs obligatoires de carburants synthétiques dans ReFuelEU Aviation
- Créer un fonds d’investissement européen dédié aux projets e-fuels
- Faciliter l’accès aux énergies renouvelables pour les producteurs
- Mettre en place des contrats à long terme (type “contracts for difference”) pour sécuriser les revenus
La fenêtre d’opportunité se referme rapidement. Si l’Union européenne ne réagit pas vite, elle pourrait perdre sa position de leader dans un domaine clé de la transition énergétique. Comme le souligne T&E, “ce n’est pas la technologie qui manque, mais la volonté politique”. Alors que les débats sur la souveraineté énergétique et la réindustrialisation s’intensifient, les e-carburants représentent une chance unique de conjuguer ambition climatique et développement économique local. —
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