Tchéquie : un contrat nucléaire stratégique bloqué par la justice

Publié le 08/05/2025 dans News

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Un appel d’offres nucléaire d’envergure suspendu

Le 7 mai 2025, la justice tchèque a émis une injonction provisoire bloquant la signature du contrat entre l’opérateur public ČEZ et le consortium franco-coréen EDF-KHNP pour la construction d’un nouveau réacteur nucléaire à la centrale de Dukovany. Ce projet, estimé à plusieurs milliards d’euros, est l’un des plus importants investissements énergétiques de la décennie en Europe centrale.

Le recours a été déposé par Westinghouse, la société américaine écartée lors de l’appel d’offres. Elle conteste la régularité de la procédure, en invoquant notamment un manque de transparence et une potentielle violation des règles de la concurrence. Le tribunal de Prague a jugé que la plainte méritait d’être examinée sur le fond avant toute signature définitive.

ČEZ monte au créneau

Dans un communiqué, ČEZ a exprimé son intention de faire appel de cette décision. Le PDG Daniel Beneš a dénoncé une tentative de perturber le calendrier stratégique de la République tchèque en matière de sécurité énergétique. Pour rappel, le pays cherche à réduire sa dépendance au charbon tout en diversifiant ses approvisionnements face aux tensions gazières avec la Russie.

Le gouvernement tchèque avait annoncé en mars dernier son intention de signer le contrat avant la fin du mois de juin, afin de lancer les travaux dès 2026. Le réacteur devait être opérationnel à l’horizon 2036. Cette suspension remet en question ce calendrier ambitieux.

EDF-KHNP : un partenariat sous surveillance

Le consortium EDF-KHNP (Korea Hydro & Nuclear Power) avait été sélectionné en avril 2024 comme soumissionnaire privilégié, devant Westinghouse. Ce choix avait été perçu comme un signal fort de la coopération croissante entre la France, la Corée du Sud et l’Europe de l’Est dans le domaine de l’atome civil.

Toutefois, plusieurs observateurs s’étonnaient déjà du caractère restreint du processus de sélection, certains éléments techniques du dossier étant restés confidentiels. Des critiques ont aussi visé les aspects géopolitiques du partenariat, dans un contexte où les alliances énergétiques sont de plus en plus scrutées.

L’affaire ČEZ s’inscrit dans un climat de fragmentation au sein de l’Union européenne sur la question du nucléaire. Alors que la France, la Hongrie et la Tchéquie défendent une relance de l’énergie atomique, d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Autriche restent farouchement opposés à cette option.

Le blocage du contrat de Dukovany pourrait renforcer la prudence de certains États membres quant à l’ouverture de leurs appels d’offres à des consortiums extra-européens. Il remet également en lumière les tensions commerciales entre les États-Unis et leurs alliés sur la scène énergétique.

Quelles conséquences pour les consommateurs ?

À moyen terme, ce report pourrait retarder la mise en service de nouvelles capacités de production bas-carbone, dans un pays où les prix de l’électricité sont déjà élevés. Une dépendance prolongée au charbon et au gaz pourrait nuire aux objectifs climatiques et peser sur la facture des ménages.

En France, où EDF est directement impliquée dans le consortium, cette décision pourrait également impacter les perspectives de développement international du groupe, déjà confronté à de nombreux défis internes liés au financement de ses propres projets EPR.

ČEZ espère toujours une issue favorable dans les prochaines semaines. Toutefois, si la justice tchèque donne raison à Westinghouse, l’appel d’offres pourrait être relancé ou annulé, rallongeant d’autant les délais pour sécuriser l’approvisionnement énergétique du pays.

Ce cas illustre une nouvelle fois à quel point le nucléaire reste un sujet hautement politique, au croisement des enjeux industriels, climatiques et diplomatiques. Dans un contexte européen tendu, chaque décision juridique autour de l’atome résonne bien au-delà des frontières nationales.

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